Le 22 mars et la « pédagogie » du gouvernement

Jeudi 22 mars, nous étions 10 000 à manifester à Lille, et bien d’autres défilés avaient eu lieu le matin dans la région.

Anticipant la mobilisation qui s’annonçait importante le jeudi 22 mars, en Conseil des ministres la veille, le chef de l’État a demandé « de poursuivre la pédagogie ».

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Dans la mesure où ce terme est de plus en plus souvent employé dans les « éléments de langage » qui balisent la « communication » tenant lieu de discours politique à nombre de « formations » de ce pays, il nous paraît judicieux de faire quelques rappels et observations sur le sens de ce terme, et les significations de son emploi en contexte de « réforme ».

Bref, sans prétendre faire la leçon, nous allons commenter cette utilisation du terme pédagogie.

La pédagogie dont il est question est sans doute entendue comme « méthode d’apprentissage », l’« ensemble des méthodes dont l’objet est d’assurer l’adaptation réciproque d’un contenu de formation et des individus à former » (Manag. 1971). Source : www.cnrtl.fr.

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Est-ce à dire qu’une « réforme » politique serait une opération de « formation » des citoyens ?
Ces mots appartiennent bien à la même famille, tout comme transformation, information, et… formatage !
Le gouvernement se prendrait-il pour un patron « manageant » l’équipe de la « start up nation » ?

Rappelons qu’étymologiquement, la pédagogie c’est « la conduite des enfants » (sur le chemin de l’école) C’est pour cela qu’elle est synonyme d’instruction et qu’elle s’emploie en premier lieu dans le contexte de l’éducation des enfants.

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On voit bien les connotations liées à l’emploi de ce terme dans un discours politique adressé à la nation par ses élus, qui se posent ainsi en surplomb, et semblent s’exprimer moins comme les représentants du peuple que comme les éducateurs d’une foule infantilisée.

Du point de vue du « conflit social », pour ne pas dire de la lutte des classes, l’emploi du mot « pédagogie » par nos dirigeants ne véhicule-t-il pas sa part d’arrogance et de mépris ?
Ne s’agit-il pas d’un discours d’élite, convaincue qu’elle devrait sa position de décideur non au suffrage universel, qui lui délègue ce pouvoir, mais à son mérite propre ? Bref, cet « élément de langage » du gouvernement ne situerait-il pas la position que pensent eux-mêmes occuper les « premiers de cordée » dans ce pays ?

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On pourrait de plus se demander à qui les personnels politiques qui l’emploient adressent le mot « pédagogie », étant entendu que l’art de la pédagogie est précisément de se faire oublier et que ce n’est pas en rappelant sans cesse à un enfant qu’on est en train de lui « faire de la pédagogie » ou qu’on va mieux lui en faire, qu’on l’aide à apprendre, à progresser, ni à se « former » ou se « réformer ».

Les hommes et les femmes politiques qui s’expriment publiquement en disant qu’ils vont « mieux expliquer » leurs réformes font peut-être l’aveu qu’en termes de « communication » ils ne les ont pas assez bien « vendues » ou qu’ils n’ont pas assez occupé l’espace médiatique pour « convaincre » les citoyens concernés non pas tant que les réformes étaient bonnes mais qu’il n’y avait pas d’autre choix, le fatalisme semblant être devenu le dernier avatar de la conviction dans leur conception minimaliste de la démocratie représentative.
La question du consentement du peuple aux politiques qu’ils lui administrent hanterait-elle les nuits de nos responsables politiques ?

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Les élus de la nation n’ont pas à faire de « pédagogie » avec les citoyens. L’égalité inscrite au fronton des monuments de la république devrait le leur interdire.
Si nous sommes en grève et manifestons aujourd’hui, c’est en connaissance de cause.
Nous sommes les seuls « experts » de nos conditions de travail, nous connaissons nos besoins d’accès aux services publics, nous savons quand nos salaires et nos pensions baissent.

Nous n’avons pas besoin d’être « instruits », mais de faire entendre nos revendications, et d’être considérés sur un pied d’égalité par le gouvernement élu, pour négocier à partir de nos propres analyses et des intérêts que nous avons à défendre.

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Or, ce gouvernement, nous l’avons compris, ne discutera que sous la pression du rapport de forces, et ce rapport ce sont le nombre et la détermination qui nous permettront de le construire.

Pour la reconquête d’un service public de qualité, de nouveaux acquis pour la sécurité sociale, la réécriture d’un code du travail réellement protecteur pour les salariés, le mouvement de contestation doit s’inscrire dans la durée ; pour nous, nos enfants, notre dignité de citoyens, les valeurs auxquelles nous sommes attachés, en un mot, pour le bien public et l’intérêt collectif, nous pouvons, – nous devons ! – , gagner ce combat.